Secret professionnel : l’arrêt belliciste du 13.09.22

Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452 publié au bulletin

 

Pour la première fois depuis la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la protection du secret professionnel de l’avocat dans une procédure pénale.

Pour mémoire, la loi nouvelle paraît distinguer trois types de secrets professionnels (art. 56-1 et 56-1-2 nouveaux du code de procédure pénale) :

  1. l’échange entre le justiciable et son avocat est postérieur à la mise en cause procédurale du premier (audition de suspect, interrogatoire de première comparution) : il s’agit du secret professionnel de la défense ;
  1. l’échange est antérieur à une éventuelle mise en cause procédurale mais postérieur aux faits poursuivis : il s’agit du secret professionnel du conseil relevant de l’exercice des droits de la défense ;
  1. l’échange est antérieur aux faits poursuivis (commission, poursuite ou réitération de la prétendue infraction) : il s’agit du secret professionnel du conseil ne relevant pas de l’exercice des droits de la défense.

Dans la deuxième hypothèse, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait jugé, aux termes de l’arrêt Bismuth du 22 mars 2016 (n° 15-83.205) que le secret professionnel n’était pas protégé dès lors que l’avocat n’assurait pas la défense de la personne placée sous surveillance téléphonique et que le justiciable n’était ni mis en examen ou témoin assisté ni même n’avait été placé en garde à vue dans la procédure en cause.

La loi du 22 décembre 2021 prétendait anéantir cette jurisprudence, selon la circulaire d’application du 28 février 2022 :

« Ces dispositions permettent ainsi un renforcement significatif de la protection du secret professionnel des avocats au cours de la procédure pénale par rapport à la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation qui semble considérer qu’il n’y a pas lieu à protection lorsque « l’avocat n’assure pas la défense de la personne, qui n’est ni mise en examen ou témoin assisté ni même n’a été placée en garde à vue dans la procédure en cause3« .
Le législateur a en effet estimé que « celui qui prend conseil parce qu’il s’attend à être prochainement poursuivi ou parce qu’il sait avoir commis une infraction pénale prépare en réalité déjà sa défense4 » doit voir protégés ses échanges avec son avocat, même si aucune procédure pénale n’est déjà engagée, ou, si c’est le cas, même si la personne n’est pas encore mise en cause dans cette procédure et a fait connaître aux enquêteurs ou aux magistrats le choix de son conseil.
 Sous réserve de la jurisprudence à venir de la Cour de cassation, il apparaît ainsi que cette protection s’appliquera lorsqu’une personne a commis ou pense avoir commis une infraction (…).
3 Cf. la motivation des arrêts de la chambre criminelle du 22 mars 2016, rendus en matière d’interception de correspondances téléphoniques entre un avocat et son client.
4 Propos du rapporteur du projet de loi M. Mazars en Commission des lois de l’Assemblée nationale – Rapport n°4146 de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, page 70. »

Las, par son arrêt du 13 septembre 2022 la Cour de cassation s’arc-boute sur une position réactionnaire et désormais contra legem.

Dans un premier temps, la Cour étend la protection aux échanges entre l’avocat et « un proche » du client. Cette décision paraît s’inscrire dans la continuité d’un arrêt du 26 janvier 2022 (n° 17-87.359, inédit), dans lequel il a été jugé que des documents saisis au sein d’une entreprise, bien que non adressés à l’avocat ni par lui, mais reprenant une stratégie de défense mise en place par ce dernier, étaient couverts par le secret professionnel. La chambre criminelle limite immédiatement la portée de ce principe dans le cas d’espèce, considérant que le contenu de l’échange en question ne relève pas de l’exercice des droits de la défense.

Ensuite, la Cour de cassation profite de cet arrêt du 13 septembre 2022 pour réaffirmer la solution retenue dans son arrêt Bismuth. Elle écrit « la compagne de X n’avait pas encore été placée en garde à vue (…) de sorte que cette conversation avec l’avocat ne pouvait relever de l’exercice des droits de sa défense ».

L’attendu de la Cour est d’autant plus sonore qu’il est surabondant : le premier motif était suffisant pour fonder le rejet du pourvoi. Le second ne semblant pas nécessaire, il paraît volontaire. Du reste, l’arrêt est publié au bulletin.

On déplore cette position belliciste de la Cour de cassation, dont le justiciable est la seule victime.

Le secret professionnel du conseil relevant de l’exercice des droits de la défense, dont le principe est expressément consacré par la loi du 22 décembre 2021 est ici nié dans son existence-même par la chambre criminelle qui réitère sa jurisprudence expressément rejetée par la circulaire du 28 février 2022.

On attend la décision que va rendre le Conseil constitutionnel, saisi par arrêt du Conseil d’État du 18 octobre 2022 d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée par l’Ordre des avocats au barreau de Paris, portant sur la conformité des articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale aux droits et libertés garantis par la Constitution.

L’Ordre des avocats au barreau de Paris est en première ligne sur ce sujet d’importance capitale qu’est la sauvegarde du secret professionnel tant en matière de défense que de conseil. Le travail acharné du conseil de l’Ordre, notamment de monsieur le vice-Bâtonnier, continue et continuera.

La protection du secret professionnel de l’avocat quel qu’il soit, non seulement pénal, non seulement en défense, doit être au cœur de nos préoccupations. Il n’est pas de démocratie sans avocat. Il n’est pas d’avocat sans le secret, lequel protège le justiciable seul et oblige l’avocat. Il n’est donc pas de démocratie sans le secret professionnel de l’avocat.

La loi, la circulaire et la jurisprudence se contredisent ; le Conseil constitutionnel est saisi ; une réforme du code de procédure pénale vient d’être annoncée : le combat est loin d’être terminé.

Restons mobilisés !